Chapitre 7 – Les défis communs et les opportunités de synergie francophone

Depuis plusieurs chapitres, nous avons dressé la cartographie vivante de la francophonie entrepreneuriale.

  • Dans le Chapitre 2, nous avons découvert les écosystèmes africains francophones, marqués par une énergie débordante mais freinés par des contraintes structurelles.
  • Dans le Chapitre 3, nous avons vu l’Europe francophone, riche en capitaux et infrastructures, mais confrontée à la lourdeur administrative et à la concurrence internationale.
  • Dans le Chapitre 4, nous avons exploré le Québec et les Caraïbes, entre puissance nord-américaine et résilience insulaire.
  • Dans le Chapitre 5, nous avons cartographié les acteurs clés – incubateurs, investisseurs, institutions, diasporas.
  • Enfin, dans le Chapitre 6, nous avons raconté les success stories francophones : Doctolib, Odoo, Lightspeed, Wave, etc.

Une constante apparaît : chaque espace francophone innove, mais souvent seul. La francophonie entrepreneuriale reste fragmentée. Les défis sont nombreux, mais aussi les opportunités d’union.

Ce chapitre vise à analyser :

  1. Les défis communs qui freinent l’essor de la francophonie entrepreneuriale.
  2. Les opportunités de synergie, c’est-à-dire les leviers qui pourraient transformer la francophonie en une puissance économique globale.

1. Les défis structurels

1.1 Fragmentation des marchés francophones

La francophonie compte 321 millions de locuteurs répartis sur 5 continents. Pourtant, contrairement au marché anglophone, elle reste morcelée :

  • Monnaies multiples : franc CFA en Afrique de l’Ouest et Centrale, euro en Europe et dans les DOM-TOM, dollar canadien au Québec, gourde en Haïti, etc.
  • Régulations divergentes : chaque pays a ses propres lois sur les entreprises, le numérique, la fiscalité.
  • Faible intégration économique : hormis quelques zones comme l’OHADA (Afrique de l’Ouest et Centrale), peu d’harmonisation existe.

👉 Conséquence : un entrepreneur francophone doit « repartir à zéro » dès qu’il change de pays. Cela augmente les coûts et ralentit la croissance.


1.2 Difficulté d’accès aux financements

Dans le Chapitre 5, nous avons vu que :

  • L’Europe francophone et le Québec disposent de fonds abondants (Bpifrance, Investissement Québec, VC privés).
  • L’Afrique et les Caraïbes souffrent d’un manque chronique de capital-risque.

Résultat : les startups africaines et caribéennes lèvent beaucoup moins que leurs homologues anglophones. Par exemple :

  • Nigeria (anglophone) → +1,3 Md$ levés en 2021.
  • Sénégal (francophone) → quelques centaines de millions, dominés par Wave.

👉 Le manque de fonds francophones transcontinentaux empêche une vraie dynamique commune.


1.3 Fuite des talents et diaspora sous-utilisée

Le talent francophone existe : ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs. Mais :

  • Beaucoup de jeunes diplômés africains partent en Europe ou en Amérique du Nord.
  • Une fois installés, ils contribuent peu directement à l’économie de leurs pays d’origine.
  • La diaspora haïtienne au Québec ou africaine en France est massive, mais peu structurée en acteur économique collectif.

👉 Contrairement à l’Inde ou à la Chine, la francophonie n’a pas encore su mobiliser sa diaspora comme levier économique majeur.


1.4 Défis technologiques et infrastructurels

  • Afrique & Caraïbes : problème d’électricité, d’accès à internet, de coûts logistiques.
  • Europe & Québec : problème inverse → régulation lourde, complexité administrative.

👉 Dans les deux cas, cela freine l’agilité entrepreneuriale.


1.5 Visibilité et narratif francophone

La francophonie est sous-représentée dans le storytelling mondial de l’innovation.

  • Les médias globaux parlent de la Silicon Valley, de Tel-Aviv, de Shenzhen… mais rarement de Dakar, Abidjan, Montréal ou Bruxelles.
  • Les success stories francophones (Doctolib, Wave, Odoo) sont peu perçues comme faisant partie d’un même mouvement francophone.

👉 Il manque une marque commune (à l’image de la “French Tech”) pour donner visibilité et fierté aux startups francophones.


2. Les opportunités de synergie

2.1 Créer un « marché francophone intégré »

Inspiré de l’UE, l’OHADA ou la CEMAC, la francophonie pourrait tendre vers :

  • Harmonisation juridique des règles de création et d’investissement.
  • Accords commerciaux préférentiels entre pays francophones.
  • Facilitation des visas entrepreneuriaux pour permettre une circulation rapide des talents.

👉 Cela transformerait un espace fragmenté en un marché de plus de 300 millions de consommateurs francophones.


2.2 Structurer des fonds francophones transnationaux

Aujourd’hui, peu de fonds opèrent à l’échelle francophone. Quelques exemples inspirants :

  • Partech Africa : fonds basé à Paris et Dakar.
  • Janngo Capital : fondé par Fatoumata Bâ, investissant entre l’Europe et l’Afrique.

👉 Imaginez un fonds francophone global, mobilisant capitaux européens et québécois pour investir en Afrique et Caraïbes.


2.3 Mobiliser les diasporas comme acteurs économiques

  • L’Inde et la Chine ont transformé leurs diasporas en sources de capitaux et d’innovation.
  • La diaspora africaine en Europe ou au Canada envoie chaque année des milliards de dollars en transferts → mais peu sont dirigés vers l’investissement productif.
  • Exemples inspirants : diaspora haïtienne à Montréal, diaspora sénégalaise en France.

👉 La francophonie peut créer des fonds diasporiques structurés.


2.4 Coopération universitaire et scientifique francophone

Le Québec (Mila, IVADO), la Suisse (EPFL), la France (Polytechnique, HEC) et l’Afrique (Université Cheikh Anta Diop, Université de Tunis) pourraient développer :

  • Programmes de double diplomation francophone.
  • Accélérateurs universitaires communs.
  • Mobilité étudiante francophone financée par l’OIF.

👉 Exemple : un étudiant de Dakar pourrait passer un semestre à Montréal et un autre à Lausanne dans un parcours entrepreneurial francophone intégré.


2.5 Développer une marque « Francophonie entrepreneuriale »

La French Tech a réussi à créer une marque forte. Pourquoi pas une Francophonie Tech ?

  • Plateforme en ligne recensant startups, fonds, incubateurs francophones.
  • Participation commune aux grands salons (CES Las Vegas, VivaTech).
  • Médias francophones de l’innovation.

👉 Cela donnerait une visibilité mondiale à la francophonie entrepreneuriale.


3. Études de cas de synergies réussies

Partech : Europe ↔ Afrique

Avec des bureaux à Paris et Dakar, Partech montre qu’un fonds peut opérer transcontinentalement.

Janngo Capital : diaspora ↔ Afrique

Fondé par Fatoumata Bâ, Janngo incarne la capacité d’une entrepreneure francophone à mobiliser capitaux européens pour l’Afrique.

Bpifrance Afrique

La banque publique française a lancé des programmes spécifiques pour investir en Afrique, prouvant que des institutions nationales peuvent penser francophone.

Diaspora haïtienne à Montréal

Exemple concret de synergie Québec–Caraïbes, où la diaspora finance, conseille et connecte Haïti.


Conclusion

La francophonie entrepreneuriale est un géant en devenir :

  • 321 millions de locuteurs,
  • une jeunesse africaine dynamique,
  • des capitaux européens et québécois,
  • une diaspora massive,
  • des success stories inspirantes.

Mais elle reste freinée par :

  • la fragmentation des marchés,
  • le manque de financements transnationaux,
  • la sous-utilisation des diasporas,
  • un déficit de visibilité.

👉 L’opportunité est immense : si la francophonie parvient à bâtir un marché intégré, à mobiliser ses diasporas et à se doter d’une marque commune, elle pourrait devenir un pôle entrepreneurial mondial rivalisant avec l’anglophonie et l’Asie.

Prochain rendez-vous : Chapitre 8 – L’avenir de l’entrepreneuriat francophone : scénarios et prospectives.